Les marées thermiques atmosphériques et la durée du jour

La friction de marée solide et océanique ralentit actuellement la rotation de la Terre de 2 millisecondes par siècle. Ainsi, la durée du jour était plus courte dans le passé. Cependant, un autre effet de marée, l’effet de marée thermique atmosphérique, a un effet contraire en accélérant la rotation de la Terre.

Diagramme représentant le système Terre-Soleil en vue de dessus. Le bourrelet de marée thermique généré par la différence d’insolation entre le côté jour et le côté nuit (ovale bleu) est en avance par rapport à la direction du Soleil et crée donc un couple accélérateur pour la rotation de la Terre. Crédits J. Laskar/IMCCE

Certains chercheurs ont émis l’idée qu’il y avait eu une amplification de cet effet dans le passé, ce qui aurait pu bloquer la vitesse de rotation de la Terre pendant une très longue durée. Des travaux convergents, publiés notamment dans Nature Geoscience et Science Advances pendant l’été 2023, ont soutenu cette hypothèse. Contrairement à ce qui pourrait sembler être un consensus, les travaux menés par les chercheurs de l’IMCCE, dont les résultats viennent d’être publiés dans Astronomy and Astrophysics et Sedimentologika, montrent au contraire que ce scénario est peu probable.

Dès 1882, Sir William Thomson, futur Lord Kelvin, avait remarqué que le cycle jour-nuit s’accompagnait d’une oscillation très régulière de la température et de la pression atmosphérique de surface. Perspicace, il en avait déduit que le phénomène associé à ces variations, bien que semblable à celui des marées océaniques, n’était pas causé par les forces gravitationnelles de la Lune et du Soleil, mais par la variation d’insolation entre le jour et la nuit. Franchissant une étape supplémentaire dans la compréhension de ces marées thermiques, il était même allé jusqu’à estimer leur effet accélérateur sur la rotation terrestre à environ 0,15 milliseconde par siècle, un résultat remarquablement proche des estimations actuelles (~ 0,13 milliseconde par siècle).

Le mécanisme des marées thermiques atmosphériques est analogue à celui des marées océaniques. Pendant la journée, l’atmosphère se dilate sous l’effet de son chauffage par le Soleil en raison de la compressibilité de l’air. Pendant la nuit, elle se contracte en se refroidissant. Cette réponse thermomécanique s’accompagne d’une redistribution de la masse de l’atmosphère à l’échelle de la planète, avec un déficit de matière côté nuit et un surplus côté jour. En outre, les modes propres atmosphériques forcés qui la constituent peuvent entrer en résonance si la période de rotation devient égale à certaines périodes particulières. La marée thermique semi-diurne se trouve ainsi dominée par une onde de compressibilité d’échelle planétaire, appelée onde de Lamb, qui entre en résonance pour une durée du jour d’environ 21 heures, soit légèrement inférieure à la durée du jour actuelle.

Ayant relevé cette propriété remarquable, Walker et Zahnle ont suggéré en 1987 que la durée du jour pouvait avoir été bloquée dans son évolution pendant plusieurs centaines de millions d’années à l’époque précambrienne (4,5 milliards à 540 millions d’années avant notre ère) en raison d’un équilibre temporaire entre le freinage induit par des marées océaniques moins fortes qu’aujourd’hui et l’accélération résultant de marées thermiques amplifiées par la résonance de l’onde de Lamb. Cette hypothèse, restée en suspens trois décennies durant avant d’être reprise par Bartlett et Stevenson en 2016, vient de se retrouver très récemment au cœur de l’actualité scientifique avec deux publications parues au début de l’été 2023 : la première dans Nature Geoscience (Mitchell & Kirscher 2023) (voir figure), la seconde dans Science Advances (Wu et al. 2023).

Ces études, malgré des méthodes distinctes, concluent toutes deux au blocage de l’évolution de la rotation terrestre par les marées thermiques durant près d’un milliard d’années, marquant ainsi le début d’un apparent consensus scientifique sur la question. Ce consensus n’aura en fait pas duré une semaine, et les travaux réalisés dans la même période par l’équipe d’astronomes et de géologues de l’IMCCE contredisent ces résultats. Menés dans le cadre du projet ERC AstroGeo, dont l’objectif est de reconstituer l’évolution du système Terre-Lune sur 4,5 milliards d’années, les travaux de l’IMCCE analysent en détail le phénomène de la résonance de l’onde de Lamb et du blocage de la durée du jour à travers une approche fondamentale prenant appui sur la résolution analytique des équations d’ondes dans l’atmosphère. Sans pour autant remettre en cause l’existence des effets des marées thermiques sur la rotation terrestre, ils montrent que l’hypothèse du blocage requiert des conditions climatiques extrêmes et relativement éloignées des contraintes fournies par les modèles de circulation générale. Les données géologiques les plus fiables ne soutiennent pas non plus l’existence de ce palier dans la variation de la vitesse de rotation de la Terre au Précambrien (voir figure). Dans l’état actuel des connaissances, l’hypothèse d’un arrêt de la variation de la durée du jour au Précambrien est donc fort peu probable.

Évolution de la durée du jour sur 2 500 millions d’années (Ma). Dans cette figure issue de l’article de Mitchell & Kirscher 2023, les auteurs ont fait figurer les indicateurs de la durée du jour issus des données géologiques disponibles. En ajustant des segments de droites sur ces données pour trouver l’évolution moyenne de la durée du jour, ils y voient un plateau, entre 1 Ga et 2 Ga, indice d’un arrêt durant cette période de l’évolution de la durée du jour. Mais si on retire de ces données, les résultats issus de l’analyse de couches de stromatolites obtenues par Pannella (1972a,b), cette « preuve » s’effondre et on constate que la solution établie par Farhat et al. (2022) à partir de la théorie des marées océaniques (ligne violette), sans ajustement aux données géologiques, coïncide encore mieux avec l’ensemble des données les plus fiables (ronds bleus, rouges et orange). CC BY Mitchell and Kirscher (2023), adapted by Laskar et al., 2024

Notre compréhension du rôle qu’ont pu jouer les marées thermiques dans l’histoire de la Terre demeure cependant incomplète, plus de 140 ans après les observations de Lord Kelvin, ce qui laisse augurer dans les années à venir la publication de nombreux autres travaux de recherche, aussi bien sur les modèles théoriques que sur l’obtention de nouvelles données géologiques, pour clore définitivement cette controverse.

Ce travail a bénéficié du soutien de l’ANR AstroMeso et de l’ERC AstroGeo.

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